Table des matières
L'Inspecteur Général André Jonas Vladimir Paraison a été officiellement installé vendredi 8 août comme Directeur Général par intérim de la Police Nationale d'Haïti (PNH). Cette nomination, accompagnée de la déclaration d'un état d'urgence sécuritaire de trois mois dans l'Ouest, l'Artibonite et le Centre, constitue le deuxième changement majeur à la tête de la police en un peu plus d'un an, dans un contexte sécuritaire catastrophique où les gangs contrôlent 90% de Port-au-Prince.
État d'urgence dans trois départements clés
La nomination de Paraison s'accompagne d'une mesure exceptionnelle : lors du Conseil des ministres présidé vendredi par Laurent Saint-Cyr et le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé à la Villa d'Accueil, les autorités ont adopté un décret instaurant l'état d'urgence sécuritaire dans les départements de l'Ouest, de l'Artibonite et du Centre pour une durée de trois mois.
Cette décision illustre l'ampleur de la crise sécuritaire qui frappe ces régions stratégiques. Dans l'Artibonite particulièrement, les gangs comme Gran Grif, Kokorat San Ras et Viv Ansanm ont intensifié leurs attaques, détruisant des commissariats comme celui de Marchand-Dessalines et établissant un quasi-système de gouvernance dans certaines villes, contrôlant les points d'entrée et de sortie.
Un contexte sécuritaire sans précédent
La nomination de Paraison intervient dans une Haïti plongée dans une crise sécuritaire et humanitaire qui atteint des niveaux catastrophiques en 2025. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : entre janvier et mai 2025, environ 2 700 personnes ont été tuées, tandis que le seul deuxième trimestre (avril-juin) a enregistré au moins 1 520 décès et 609 blessés dus à la violence armée.
L'Artibonite, désormais visée par l'état d'urgence, illustre parfaitement cette expansion géographique de la violence. Plus de 45 000 personnes ont été déplacées dans le Centre et l'Artibonite depuis juin 2025, contribuant à un total de près de 240 000 déplacés dans ces deux départements. Les violations des droits humains y sont endémiques : exécutions extrajudiciales, viols collectifs (représentant 85% des cas de violence sexuelle), exploitation d'enfants et recrutement forcé par les gangs.
La crise humanitaire qui en résulte a atteint des proportions record. Plus de 245 000 personnes ont été contraintes de fuir leurs foyers depuis le début de 2025, aggravant une situation déjà désastreuse marquée par l'insécurité alimentaire croissante. Même les professionnels et étudiants, autrefois relativement protégés, subissent désormais les déplacements forcés.
Une police nationale submergée
L'installation de Paraison à la Villa d'Accueil par le Président du Conseil Présidentiel de Transition Laurent Saint-Cyr, accompagné du Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé et du Ministre de la Justice Patrick Pélissier, souligne l'urgence de la situation. Cette cérémonie, simultanée à l'adoption de l'état d'urgence, témoigne de la volonté des autorités de reprendre l'initiative face à une PNH débordée.
La Police Nationale d'Haïti fait face à des défis structurels majeurs. Avec seulement environ 4 000 agents en service actif pour une population de plus de 11 millions d'habitants, elle est largement sous-dimensionnée et surpassée en armement par les gangs. Les forces de l'ordre souffrent de ressources insuffisantes, de salaires impayés, et font face à des accusations de collusion de certains agents avec les criminels.
Dans l'Artibonite, les forces de sécurité se heurtent à des gangs qui utilisent des tranchées et autres barricades pour entraver les opérations anti-gangs. Les commissariats attaqués et incendiés illustrent la supériorité tactique des groupes criminels qui ont transformé certaines zones en territoires quasi-autonomes.
Un carrousel de dirigeants
Cette nomination marque le deuxième changement majeur à la tête de la PNH en un peu plus d'un an. Paraison remplace Normil Rameau, dont le mandat d'un an s'achève dans un contexte de tensions avec des factions du conseil présidentiel de transition. Rameau avait lui-même succédé en juin 2024 à Frantz Elbé, évincé suite aux critiques sur son incapacité à protéger les agents des attaques de gangs.
Cette rotation fréquente des dirigeants policiers reflète l'immense pression exercée sur l'institution et le gouvernement pour faire face à l'insécurité croissante. Elle traduit également l'instabilité politique persistante qui fragilise toute stratégie sécuritaire à long terme.
Le discours de la reconquête
Dans son discours d'investiture, le Président Saint-Cyr a adopté une rhétorique martiale, déclarant que "douze millions d'Haïtiennes et d'Haïtiens réclament d'une seule voix : la sécurité". Il a établi un lien direct entre sécurité et reconstruction nationale, soulignant que "des centaines d'entreprises, d'écoles, d'universités et d'hôpitaux doivent rouvrir pour servir, éduquer, soigner".
Sa formule "La peur doit changer de camp" résume l'ambition de ce changement de direction : inverser le rapport de force entre l'État et les groupes criminels. Cette approche volontariste place la sécurité comme préalable absolu à toute renaissance économique et sociale.
De son côté, André Jonas Vladimir Paraison, ancien responsable de la sécurité du palais national et lui-même blessé lors d'affrontements passés avec des gangs armés, s'est engagé à "mener la reconquête des zones assiégées par les groupes criminels, garantir la sécurité des citoyens et restaurer la confiance entre la population et la Police Nationale d'Haïti".
Implications pour l'enseignement supérieur
Pour les universités haïtiennes, cette nomination revêt une importance capitale. La fermeture prolongée d'établissements d'enseignement supérieur, particulièrement dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, a considérablement perturbé les parcours académiques. L'Université d'État d'Haïti, les instituts privés et les centres de formation professionnelle attendent concrètement de cette nouvelle direction policière une sécurisation des campus et des axes de transport estudiantin.
La mention spécifique des universités dans le discours présidentiel suggère une prise de conscience de l'enjeu éducatif. Sans sécurité, le système éducatif haïtien ne peut fonctionner normalement, privant une génération entière d'étudiants de leur droit à l'éducation.
Défis et limites de la mission internationale
La nomination de Paraison intervient alors que la Mission multinationale d'appui à la sécurité (MMAS) dirigée par le Kenya, déployée en 2024 pour assister la PNH, peine à atteindre sa capacité opérationnelle prévue. Cette mission fait face à des défis financiers et logistiques considérables et n'a pas réussi à contrer efficacement la puissance des gangs.
Le Président Saint-Cyr a promis que "le Conseil Présidentiel de Transition et le Gouvernement seront, sans réserve, aux côtés du nouveau Directeur Général a.i. pour lui fournir les moyens nécessaires". Cette promesse budgétaire arrive dans un contexte de ressources étatiques limitées, questionnant la capacité réelle du gouvernement à tenir ses engagements.
La nomination d'André Jonas Vladimir Paraison, couplée à la déclaration d'état d'urgence dans trois départements stratégiques, marque un tournant dans la stratégie gouvernementale de reprise de l'initiative sécuritaire. Cette double décision survient dans un contexte où l'État haïtien contrôle moins de 10% du territoire de la capitale et fait face à une expansion préoccupante de la violence vers l'Artibonite et le Centre. Pour la communauté universitaire haïtienne, cette transition suscite un espoir mesuré : celui de voir rouvrir durablement les campus et de retrouver des conditions d'apprentissage normales.
Le nouveau patron de la PNH hérite d'un défi titanesque dans un pays où l'autorité étatique reste fragmentée et où les gangs disposent d'une puissance de feu supérieure à celle des forces de l'ordre. Son succès se mesurera à l'aune de sa capacité à transformer les promesses gouvernementales en résultats tangibles sur le terrain.
Pour les étudiants et enseignants haïtiens, l'enjeu est existentiel : sans sécurité, point d'éducation de qualité. L'avenir académique du pays dépend en partie de la réussite de cette nouvelle stratégie policière, dans un contexte où les élections générales prévues pour la fin 2025 restent hypothétiques face à l'insécurité persistante.