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« La masculinité noire, telle que nous la connaissons aujourd’hui, n’est pas un héritage ancestral : c’est une ingénierie du trauma, façonnée par des siècles de domination raciale et patriarcale. »
Et si ce n’était pas « naturel » ?
Qu’est-ce qu’être un homme noir aujourd’hui ? Être fort, viril, dominateur, silencieux ? Ou est-ce ce qu’on attend de lui — ce qu’on a programmé, génération après génération, à coups de chaînes, de Bible censurée et d’algorithmes ?
Dans un monde où l’identité se forge autant sur les plantations d’hier que dans les fils TikTok d’aujourd’hui, il est urgent de questionner : d’où vient cette masculinité noire contemporaine ? Qui l’a écrite ? Et surtout, qui en profite ?
Avant la colonisation : un genre fluide, sacré, collectif
Contrairement aux stéréotypes, les sociétés africaines précoloniales n’étaient ni figées ni patriarcales à l’occidentale. Le genre y était vécu comme un rôle, une fonction spirituelle, non comme une case biologique.
Dans la tribu Dagaaba (Ghana–Burkina Faso), certaines personnes homosexuelles étaient perçues comme des médiums, capables de communiquer avec des esprits protecteurs. Chez les Buganda (Ouganda), la divinité Musaka changeait de genre. Le sacré lui-même n’était pas binaire.
Ces identités étaient honorées. Elles ont été détruites.
Colonisation : quand le patriarcat blanc s’impose par la Bible et le fouet
Avec l’arrivée des colonisateurs, tout change. Le genre devient binaire. L’homme doit dominer. La femme doit obéir. Et l’homme noir ? On le force à imiter le maître — sans jamais lui donner le pouvoir.
Le christianisme impose une morale rigide. La sexualité devient suspecte. La famille noire est brisée. La masculinité noire devient performance, dureté, silence.
Comme le dit bell hooks :
« L’homme noir, privé de pouvoir, a appris à dominer ceux qu’il pouvait : les siens. »
La violence : pas une nature, une blessure
Quand un homme noir se ferme, frappe, humilie, ce n’est pas un gène. C’est un symptôme. Celui d’un système qui, depuis l’esclavage, l’empêche de pleurer, d’aimer, de guérir.
Frantz Fanon écrivait : « Le colonisé rêve de s’asseoir à la table du colon. »
Faute de pouvoir s’y asseoir, certains ont frappé à la mauvaise porte : chez eux. La violence intrafamiliale n’est pas « culturelle ». Elle est coloniale. Elle est historique. Elle est guérissable.
Aujourd’hui : le fouet s’appelle « algorithme »
Bienvenue dans l’ère du techno-féodalisme.
Mark Zuckerberg, Peter Thiel, Elon Musk ou Jeff Bezos ne dirigent pas des champs de coton, mais des plateformes. Pourtant, ils définissent encore ce qu’est un « vrai homme » : musclé, riche, dominateur, invulnérable.
Dans la manosphère — cet écosystème numérique toxique peuplé d’influenceurs comme Andrew Tate — la masculinité est redevenue une guerre. Contre les femmes. Contre les queers. Contre la tendresse.
Et qui est le plus exposé à ces injonctions ? Le jeune homme noir, entre marginalisation sociale et pression numérique.
« Le like est le nouveau fouet. L’algorithme, le nouveau contremaître. »
Mais partout, des résistances fleurissent
Tout n’est pas sombre. Une nouvelle génération déconstruite, réinventée, reconnectée.
Des cercles afro-queer remettent à l’honneur les spiritualités fluides d’Afrique.
Des artistes et des activistes bâtissent des masculinités tendres, enracinées dans le soin, la mémoire, la joie.
Des pères réapprennent à être présents. Des jeunes refusent d’être des clones du colon.
Des groupes comme Black Men’s Healing Circle (États-Unis) ou des collectifs de capoeira au Brésil réintroduisent la danse, le toucher, le rituel comme outils de réparation.
Conclusion : reprogrammer l’héritage
Hier, la plantation a codé la masculinité noire avec violence. Aujourd’hui, la plateforme veut la maintenir rentable. Mais entre ces deux systèmes, il y a la brèche.
Celle où l’homme noir redevient ce qu’il a toujours été : un être sensible, complexe, relié.
« La libération noire ne sera possible que si nous libérons aussi nos manières d’aimer, de ressentir, d’être des hommes. » — bell hooks
Et maintenant ?
Comment réapprendre ? Qui écouter ? Quelles histoires faire revivre ?
Parce qu’on ne naît pas « homme noir », on le devient. Et il est temps de choisir comment.
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