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L’année 2013, marquée par des enjeux internationaux devenus particulièrement pressants et par une série de scandales ayant ébranlé l’Église catholique, a vu la démission du Pape allemand Joseph Ratzinger, dit Benoît XVI, suivie de l’élection, le 13 mars de la même année, du 266ᵉ Pape de l’histoire de l’Église universelle : Jorge Mario Bergoglio, connu sous le nom de Pape François.
Saluée par des figures politiques et intellectuelles de renom telles que Barack Obama, Jean Ziegler et Edgar Morin, l’élection du Pape François a représenté un tournant significatif dans l’histoire du pontificat et de la diplomatie vaticane. Fils d’immigrés italiens, il est le premier Pape latino-américain et le premier jésuite[1] à accéder au trône de Saint Pierre. Le nom qu’il choisit, François, a une portée symbolique, évoquant saint François d’Assise[2]. Ses parents, contraints de fuir l’Europe dans les années 1930 à cause des horreurs de la Seconde Guerre mondiale (1939–1945), du totalitarisme et du fascisme italien de Benito Mussolini, trouvèrent refuge en Argentine. Né à Buenos Aires le 17 décembre 1936, Jorge Mario Bergoglio a consacré sa vie au service sacerdotal, en incarnant les valeurs de miséricorde, de charité, d’altérité et de justice sociale. Homme discret mais profondément engagé sur les questions touchant les plus vulnérables, il avait déjà affirmé son caractère en tant qu’archevêque de Buenos Aires, notamment par ses prises de position lors de la grave crise économique qui frappa l’Argentine en 2001[3].
Originaire de l’hémisphère Sud, le Pape François a introduit une dimension nouvelle dans la diplomatie du Saint-Siège, en mettant l’accent sur les préoccupations et les perspectives des pays du Sud. Il promeut une diplomatie active, fondée sur une volonté affirmée de jouer un rôle de médiateur dans un monde fracturé par les conflits et les défis géopolitiques, avide de paix.
L’espérance et la miséricorde, tendances essentielles de la diplomatie vaticane sous le Pape François
Tout au long de son pontificat, le Pape François a défini les lignes directrices de sa diplomatie comme étant fondées sur l’espérance et la miséricorde, articulées autour de quatre piliers essentiels : la vérité, le pardon, la liberté et la justice. Il a mené des plaidoyers en faveur des valeurs universelles telles que la solidarité entre les peuples, la culture de la rencontre, le face-à-face, le dialogue et la compassion.
Dès le début de son pontificat en 2013, son premier geste symbolique fut un voyage sur l’île italienne de Lampedusa, le 8 juillet. Cette visite, fortement chargée de sens, visait à rendre hommage aux migrants morts en mer Méditerranée et à dénoncer l’indifférence généralisée à leur égard. On se souvient également de sa visite tout aussi marquante dans un camp de réfugiés sur l’île de Lesbos, en Grèce. Grand admirateur du pasteur américain Martin Luther King, il l’a souvent mis en lumière dans ses discours en faveur des plus vulnérables.
Il a constamment accordé la priorité au courage de la vérité, tant sur le monde que sur l’homme, en dénonçant ce qu’il qualifie de mondialisation de l’indifférence, liée à la misère des pauvres, enracinée dans l’économie libérale. Certains de ses détracteurs l’ont même qualifié de Pape socialiste ou communiste, tant ses critiques virulentes du capitalisme étaient perçues comme radicales. Selon lui, ce système tue un monde marqué par l’individualisme, l’égoïsme, l’exploitation, le statu quo et la recherche de l’enrichissement personnel, au détriment du bien-être collectif.
À ses yeux, sans une redistribution équitable des richesses, la pauvreté ne saurait être éradiquée. Il a cependant mis en avant des valeurs liées à l’altérité, affirmant que tous, et en particulier les plus marginalisés, méritent tendresse, compassion et droit à une vie digne. En somme, la diplomatie de l’espérance qu’il promeut rejette la logique de l’affrontement et prône la protection de la vie humaine ainsi qu’une vision intégrale de la personne face aux enjeux mondiaux.
La paix, le dialogue et l’engagement : expressions du réalisme diplomatique du Pape François
Dans un monde où les intérêts opposent les États, il est difficile de préserver la paix, d’instaurer un dialogue franc entre les acteurs internationaux et de prendre des engagements sans risquer de se heurter à un mur. Pourtant, le Saint-Siège, sous le pontificat du Pape François, a constamment manifesté son engagement sur des questions majeures : le dialogue et la paix, les migrations et le droit humanitaire, le climat et l’environnement, l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que les relations privilégiées avec les pays du Sud.
En effet, après son élection en 2013, on se souvient du rôle remarquable qu’il a joué dans le rapprochement entre Cuba et les États-Unis, gelé depuis 1962 à la suite de la crise des missiles entre l’URSS de Nikita Khrouchtchev et les États-Unis de John Fitzgerald Kennedy pendant la Guerre froide. Le Pape ne disposait pas de formation ni d’une grande expérience en diplomatie, contrairement à certains de ses prédécesseurs comme Pie VII et Paul VI. Pourtant, son charisme, son intelligence, sa simplicité, son empathie et son humilité ont fait de lui un médiateur privilégié auprès des dirigeants du monde entier.
Il a pris position en faveur du désarmement nucléaire, notamment à travers le soutien au vote historique du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) en 2017. Il a également lancé des appels soutenus en faveur de la paix et du dialogue continu entre la Russie et l’Ukraine, ainsi qu’entre Israël et la Palestine. Il faut également souligner son rôle déterminant, bien que discret, de médiateur indirect en 2016 entre les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et le gouvernement colombien dans le processus qui a abouti à un dialogue et à une réconciliation nationale.
Ainsi, la diplomatie vaticane sous le Pape François s’est appuyée sur ce que l’on qualifie de soft power moral, une forme d’influence reposant sur la persuasion, le dialogue et l’autorité morale dont jouit historiquement l’Église catholique, sans recours à la force.
Par ailleurs, la diplomatie du Pape François est toujours intervenue sur les problèmes relatifs aux questions humanitaires en Syrie, au Soudan du Sud et en République démocratique du Congo. Des États ravagés par la guerre, où les populations ont été confrontées à d’importantes difficultés. C’est pourquoi le Pape a encouragé les couloirs humanitaires afin de venir en aide à ces personnes et de leur faciliter l’accès au statut de réfugiés, dans le but de sauver des vies. Il a constamment défendu les migrants et a soutenu le Pacte de Marrakech sur les migrations en 2018.
Il a mis en avant le concept d’écologie intégrale, en articulant dans ses actions la protection de l’environnement et la justice sociale. Il a critiqué la dégradation de la Terre et le réchauffement climatique, qu’il attribue à la volonté excessive des pays industrialisés de recourir brutalement aux ressources naturelles disponibles.
Il convient également de souligner la question de l’égalité entre les femmes et les hommes durant son pontificat. En effet, le Pape François a initié un mouvement significatif en ce sens, en encourageant la prise de fonction des femmes à des postes de décision au sein du gouvernement du Vatican, composé de dicastères (souvent appelés ministères). En 2016, il a nommé des femmes à des postes symboliques, notamment la nomination d’une directrice des musées du Vatican – une grande première. La même année, une femme a été nommée pour la première fois à la tête de la Commission théologique internationale. En 2020, Francesca Di Giovanni est devenue numéro trois au ministère de l’Intérieur du Vatican. En 2021, Raffaella Petrini a été nommée à la tête du Gouvernorat et de la Commission pontificale.
Des signaux très forts qui, aux yeux de certains experts, s’inscrivent dans un processus de féminisation du Vatican et dans la promotion du rôle des femmes au sein de l’Église et dans le monde.
En outre, il est important de souligner que la diplomatie vaticane, sous le pontificat du Pape François, s’est tournée davantage vers les pays du Sud. Il s’agit d’un choix géopolitique cohérent avec les valeurs défendues par ce dernier, qui accorde une attention particulière aux pauvres vivant dans les périphéries du monde. Sous son pontificat, l’Europe n’a plus eu voix au chapitre. Le Pape s’est davantage intéressé aux pays du Sud, qu’il a visités régulièrement afin de promouvoir la paix, le dialogue et la solidarité. Depuis 2013, il a effectué quarante-sept voyages apostoliques, dont la majorité a concerné les périphéries.
Somme toute, face aux enjeux complexes des relations internationales au cours de son pontificat, la diplomatie vaticane sous l’autorité du Pape François s’est caractérisée par une volonté affirmée de promouvoir la paix et le dialogue dans le monde, de protéger la dignité humaine, de favoriser l’inclusion sociale et de témoigner d’une attention particulière aux plus démunis. Maintenant que le Pape François n’est plus, doit-on s’attendre à une continuité de la diplomatie de l’espérance qu’il a incarnée, ou à une rupture totale ? La réponse viendra après la tenue du prochain conclave[4], qui révèlera l’identité du nouveau Pape ainsi que les grandes orientations diplomatiques de son pontificat.
Notes
[1] Ordre religieux catholique, fondé par saint Ignace de Loyola en 1534 et approuvé par le pape Paul III en 1540, dont la finalité principale est l'apostolat. Alain Guillermou, Saint Ignace de Loyola et la Compagnie de Jésus, Paris, Seuil, 1960.
[2] Mystique et prédicateur italien, fondateur de l’ordre des Franciscains. Canonisé en 1228, il fut proclamé saint patron des écologistes par Jean-Paul II en 1980. Il est reconnu pour ses œuvres de charité auprès des lépreux de son époque.
[3] Crise économique survenue dans un contexte de déflation et de fortes sorties de capitaux, marquée par une diminution persistante des dépôts bancaires et la suspension du versement d’une tranche de prêt accordée par le Fonds monétaire international. Jacques Brasseul, Introduction à l’économie du développement, Paris, Armand Colin, 2008.
[4] Dans l’Église catholique romaine, le conclave est la réunion des cardinaux assemblés pour élire le Pape.