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Erik Prince annonce un accord de 10 ans en Haïti : Les mercenaires à l'assaut de l'État

Erik Prince affirme avoir trouvé accord 10 ans avec Haïti pour combattre gangs et participer à collecte fiscale frontalière.

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L'homme d'affaires militaire Erik Prince, fondateur de l'ex-Blackwater et proche de Donald Trump, affirme avoir conclu un accord de 10 ans avec le gouvernement haïtien pour combattre les gangs et participer à la collecte fiscale. Cette annonce exclusive à Reuters soulève des questions fondamentales sur l'avenir de la souveraineté haïtienne et le rôle croissant des entreprises militaires privées dans les États en crise.

Dans une interview exclusive accordée à Reuters le 14 août, Erik Prince a déclaré que sa société, Vectus Global, avait trouvé un accord de 10 ans avec le gouvernement haïtien. Un arrangement qui, selon ses dires, irait bien au-delà de simples opérations sécuritaires.

Un projet ambitieux aux contours encore flous

Selon Prince, Vectus Global interviendrait d'abord pour stabiliser la situation sécuritaire, puis participerait à la conception et la mise en œuvre d'un programme de taxation des marchandises importées à la frontière dominicaine. L'homme d'affaires promet de reprendre le contrôle des routes principales et des territoires aux gangs en environ un an. "Une mesure clé de succès pour moi sera quand vous pourrez conduire de Port-au-Prince à Cap-Haïtien dans un véhicule léger sans être arrêté par les gangs", a-t-il déclaré à Reuters.

Cependant, des zones d'ombre persistent. Prince n'a pas révélé combien le gouvernement haïtien paierait Vectus Global, ni quelle part des taxes collectées reviendrait à son entreprise. Plus significatif encore, le nouveau président du conseil de transition, Laurent Saint-Cyr, investi le 7 août, n'a pas répondu aux demandes de commentaires de Reuters, pas plus que l'ancien président du conseil ou le Premier ministre.

Une montée en puissance opérationnelle

Vectus opère déjà en Haïti depuis mars, déployant principalement des drones en coordination avec une task force dirigée par le Premier ministre. Mais selon une source familière des opérations de la compagnie citée par Reuters, l'entreprise s'apprêterait à intensifier ses actions dans les semaines à venir. Plusieurs centaines de combattants venus des États-Unis, d'Europe et du Salvador - spécialisés comme tireurs d'élite, experts en renseignement et communications - seraient déployés, accompagnés d'hélicoptères et de bateaux.

Les questions de légitimité et de gouvernance

L'incertitude politique actuelle rend la situation encore plus complexe. Reuters note qu'il n'est pas clair si l'accord de Prince serait affecté par le changement de leadership du 7 août. Dans son discours télévisé d'investiture, Saint-Cyr a appelé à plus de soutien international pour combattre les gangs, invitant "tous les partenaires internationaux à augmenter leur soutien, envoyer plus de soldats, fournir plus de formation."

Cette déclaration pourrait-elle englober l'arrangement avec Vectus? La question reste ouverte.

Les enjeux pour la communauté universitaire

Pour les étudiants en sciences politiques et en droit, cette situation offre un cas d'étude en temps réel sur les limites de la souveraineté étatique. La frontière dominicano-haïtienne générait historiquement 50% des revenus fiscaux du pays avant que les gangs ne paralysent les routes commerciales. La proposition de Prince de participer à la collecte fiscale soulève des questions constitutionnelles majeures : un État peut-il déléguer cette fonction régalienne à une entreprise privée étrangère?

Gedeon Jean, directeur du Centre d'analyse et de recherche en droits humains d'Haïti, met en garde dans l'article de Reuters : "Le recours aux compagnies militaires privées ne peut être considéré comme une solution à l'insécurité en Haïti." Il souligne le risque de violations des droits humains et questionne la sagesse de dépenser des ressources importantes pour une compagnie étrangère alors que les forces de sécurité haïtiennes manquent de fonds et d'équipement.

Le spectre de Blackwater

L'histoire controversée d'Erik Prince ajoute une couche de complexité. Les employés de Blackwater ont été condamnés pour avoir tué illégalement 14 civils désarmés à Bagdad en 2007, avant d'être graciés par Trump durant son premier mandat. Cette histoire alimente les inquiétudes sur les méthodes qui pourraient être employées en Haïti.

Romain Le Cour Grandmaison, responsable du programme Haïti au Global Initiative Against Transnational Organized Crime, observe qu'il est "difficile d'imaginer qu'ils opèrent sans le consentement de l'administration Trump." Pourtant, un porte-parole du Département d'État américain a affirmé à Reuters ne pas avoir engagé Prince ou sa compagnie pour des travaux en Haïti, tandis qu'un haut responsable de la Maison Blanche a déclaré : "Le gouvernement américain n'a aucune implication avec le contractant militaire privé engagé par le gouvernement haïtien."

Les défis opérationnels

L'article de Reuters rappelle que d'autres contractants de sécurité ont déjà fait face à des défis majeurs en Haïti. Plus tôt cette année, une équipe de la firme américaine Studebaker Defense a abandonné sa mission après que deux de ses membres ont été enlevés, probablement à cause de policiers corrompus, selon le New York Times.

Ces précédents soulèvent des questions sur la capacité réelle de Vectus à tenir ses promesses ambitieuses dans un environnement où les liens entre gangs, police locale et certaines factions gouvernementales sont profondément enracinés.

L'annonce d'Erik Prince marque potentiellement un tournant dans la crise haïtienne, mais de nombreuses questions demeurent sans réponse. L'accord est-il définitivement conclu? Le nouveau leadership politique le soutiendra-t-il? Comment la population et les institutions haïtiennes réagiront-elles à cette présence militaire privée étrangère?

Pour la communauté universitaire haïtienne, cette situation représente bien plus qu'une simple actualité. Elle pose des questions existentielles sur la nature de l'État, la souveraineté nationale et l'avenir du pays. Les étudiants et chercheurs devront non seulement analyser ces développements, mais aussi réfléchir aux alternatives possibles pour reconstruire des institutions publiques légitimes et efficaces.

L'histoire jugera si cet arrangement représente un pis-aller nécessaire face à l'effondrement ou le début d'une nouvelle forme de dépendance. Une chose est certaine : la jeunesse universitaire haïtienne devra vivre avec les conséquences de ces choix pour les décennies à venir.


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