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Dans le cadre du dossier spécial consacré aux 51 ans de la Faculté des Sciences Humaines, nous avons rencontré Hancy Pierre, ancien coordonnateur et professeur à la FASCH, témoin privilégié de l'évolution de cette institution depuis sa création en 1974. À travers cette analyse approfondie, il retrace la trajectoire singulière d'une faculté qui, malgré l'absence récurrente de locaux adéquats, a su maintenir sa mission académique et sociale. Un regard éclairant sur la résilience d'une institution qui, de ses débuts dans des espaces empruntés jusqu'aux défis actuels de la violence urbaine, continue de former les cadres dont Haïti a besoin. Ce témoignage révèle comment, malgré vents et marées, le projet de la FASCH demeure bâti sur du roc.
La Faculté des Sciences Humaines célèbre son 51e anniversaire sans domicile fixe, mais elle continue d’abriter la philosophie de ses programmes d’études, de recherche et de service à la communauté. De 1974 à 1986, l’enseignement des cours de première et de quatrième années des quatre disciplines de la Faculté s’est déroulé dans les locaux de la Faculté des Sciences (FDS), située à l’angle de la rue Joseph Janvier et de la rue Monseigneur Guilloux à Port-au-Prince. Les services administratifs et la bibliothèque occupaient également cet espace. Les activités académiques se poursuivaient dans un autre bâtiment, paradoxalement à vocation résidentielle, situé au Chemin des Dalles, où fonctionnaient les classes de deuxième et troisième années.
Malgré les déficiences constatées en matière d’infrastructure physique, les missions d’enseignement et de service à la communauté sont assurées, de même que la recherche, bien que de manière progressive. La Faculté s’est révélée d’une grande utilité sociale grâce aux stages pratiques réalisés dans les institutions sociales, en milieu communautaire et en clinique. L’Institut pédagogique national, les centres psychiatriques Mars and Kline et de Beudet, l’Institut de Bien-Être Social et de Recherches, la Télévision Nationale d’Haïti, la Radio Nationale d’Haïti, l’Entreprise Publique de Promotion de Logements Sociaux, la Radio Éducative et l’Office National d’Alphabétisation et d’Action Communautaire (ONAAC) ont tous bénéficié de ces stages académiques. Le Centre Communautaire de Duvivier et la Clinique d’Hygiène Mentale constituaient des laboratoires de recherche-intervention pour la sociologie et le service social. La communication sociale s’intéressait notamment au cadre de la Radio Éducative, tandis que les stages de psychologie s’organisaient à la Clinique d’Hygiène Mentale.
En Haïti, l’enseignement universitaire s’est développé dans un cadre fragmenté. Trois générations d’instituts, centres et facultés se sont successivement implantées : entre 1860 et 1940, entre 1940 et 1970, puis entre 1970 et 2010. De nouvelles entités ont été rattachées à l’Université d’État d’Haïti (nouvelle dénomination adoptée en 1960) dans le but de promouvoir la coopération économique et sociale du pays dans une perspective de modernisation. L’Institut National de Gestion et des Hautes Études Internationales (1973), la Faculté des Sciences Humaines (1974), la Faculté de Linguistique Appliquée (1978) et l’Institut d’Études et de Recherches Africaines d’Haïti (1980) se sont dotés de cette mission pour répondre aux besoins d’intégration, de coopération et de développement de l’époque.
Créée en 1974 sur la base du système promotionnel, la Faculté des Sciences Humaines comporte quatre sections : la Psychologie, le Service Social, la Sociologie Générale et les Sciences de la Communication Collective et du Journalisme. La durée prévue pour la formation est de quatre années réparties sur huit semestres, ce qui donne droit à la licence après avoir soutenu avec succès un mémoire de fin d’études. Une année supplémentaire mène à la maîtrise selon le Manuel de 1974 de la Faculté des Sciences Humaines. Deux autres années de scolarité après la maîtrise donnent droit au doctorat après soutenance d’une thèse.
Bien que la Faculté des Sciences Humaines s’inscrive dans une perspective de développement et d’intégration, elle était paradoxalement marginalisée dès sa création, dépourvue de bâtiment adéquat pour son fonctionnement au regard des normes en la matière. Malgré les déficiences connues en matière d’infrastructure, la Faculté des Sciences Humaines de l’Université d’État d’Haïti (1974-2025) est bâtie sur du roc. En effet, le projet de la Faculté est enraciné dans des valeurs et traditions fondamentales telles que le sens de l’initiative, la quête de l’excellence, la promotion de la participation, la recherche et le service à la communauté.
À la chute de la dictature des Duvalier (1957-1986), dans le cadre d’un mouvement général de contestation, des étudiants et professeurs ont saisi l’opportunité d’investir l’espace de l’Impasse Le Hasard, à l’Avenue Christophe, et de s’approprier les constructions encore inachevées destinées à héberger la Faculté des Sciences Humaines. Les locaux ont été aménagés sous l’impulsion de ce mouvement social. Les étudiants avaient organisé une campagne de levée de fonds à travers deux spectacles culturels, l’un chez les Frères de l’Impasse Lavaud et l’autre au Rex Théâtre, pour financer l’achèvement des travaux de construction de ces locaux adéquats et modernes.
Un nouveau souffle s’est ainsi insufflé dans la voie du changement et de la consolidation de l’édifice du savoir scientifique. Après le 7 février 1986, un mouvement de reconceptualisation s’est d’abord initié en Service Social, postulant une formation qui tient compte des besoins de la société haïtienne et qui s’inscrit dans une perspective de transformation sociale. Les autres programmes ont également connu quelques aménagements. C’était l’occasion de repenser la première année comme une année de mise à niveau avec l’implantation de structures d’encadrement s’appuyant sur le travail des professeurs à temps plein et celui des assistants-professeurs.
Plusieurs commissions ont été créées pour travailler à la refonte curriculaire, à la recherche, aux stages, à la réglementation des professeurs à temps plein, à l’assemblée mixte, à la coopération et la formation continue, à l’administration et la gestion des notes, ainsi qu’au protocole de mémoire. Graduellement, le système de crédit a commencé à s’implanter, facilitant la transition pour les anciennes promotions tout en leur accordant un délai pour finaliser leur dossier. Dès les années 1990, l’idée de réforme gagnait considérablement du terrain à la Faculté des Sciences Humaines.
La Faculté a investi dans la coopération universitaire pour se renforcer à travers le partage d’expériences et les missions d’enseignement et de recherche. Une politique de relève a permis d’orienter de jeunes licenciés vers des études de maîtrise et de doctorat afin de contribuer, à leur retour, au renforcement institutionnel.
L’espace physique constituait dans ce contexte une préoccupation majeure, ce qui a conduit à négocier l’appui de l’Unité Centrale de Gestion (UCG). Ainsi, le bâtiment a été renforcé, la bibliothèque agrandie tant en fonds documentaires qu’en espace physique, des espaces verts aménagés, ainsi qu’un parking adéquat et un terrain réglementaire régulièrement utilisé pour les pratiques de basketball, de volleyball et de badminton. Un service de photocopie et une cafétéria ont été établis, malgré leur courte durée d’existence. Le support d’un laboratoire informatique représentait un acquis considérable à cette époque.
Grâce à un espace physique adéquat, l’aménagement des bureaux des responsables de département et des professeurs à temps plein a constitué un atout pour l’encadrement des mémorants et stagiaires, ainsi que pour le tutorat des étudiants en général. Cette période a permis de procéder au recrutement de deux promotions par année académique par voie de concours, garantissant ainsi la démocratisation de l’accès à l’université. La production de mémoires, les travaux de recherche ainsi que les activités de formation continue et d’extension universitaire ont été considérables par rapport à la période 1974-1994. Le programme d’Études Post-graduées en Population et Développement a vu le jour en 1999, en concertation avec le Centre de Techniques, de Planification et d’Économie Appliquée et le Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle, avec le financement du Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA). Le système de crédit a été institué dans le même contexte. L’apport à la recherche a été capital grâce aux efforts d’une équipe de professeurs-chercheurs attachée au Centre de Recherches Historiques et Sociologiques (CREHSO), coordonné par le professeur Michel HECTOR.
La Faculté des Sciences Humaines renforce progressivement ses services. La bibliothèque fonctionne quotidiennement pour garantir un accès optimal à la consultation et à la lecture, servant de support aux travaux de recherche des étudiants. Le système de stages a été renforcé et généralisé dans tous les départements avec une équipe composée d’un moniteur ou d’une monitrice, d’un superviseur et d’un responsable de stages. La diplomation a connu des bonds considérables après 2005, avec une moyenne de 60 mémoires soutenus par année. Il a été rapporté qu’un total de 796 mémoires soutenus a été recensé de 1982 à 2024 (Joseph, 2024). Dix étudiants en maîtrise ont complété leur formation au Mexique et poursuivi des études doctorales en Population et Développement. Des échanges se sont également réalisés avec des universités étrangères pour la maîtrise, dont l’expérience d’une dizaine d’étudiants en Service Social à l’Université de Montréal.
Dans le domaine de la recherche, le Centre en Population et Développement (CEPODE), rattaché au programme de Maîtrise en Population et Développement (MAPODE), s’est transformé et dynamisé pour offrir des services à diverses institutions, notamment des organisations internationales, des organisations non gouvernementales et des organismes tant publics que privés. Les thématiques de recherche-intervention comprennent : la planification familiale, la décentralisation et la participation citoyenne, la population, santé et assainissement, la migration environnementale, le développement urbain et les logements sociaux, ainsi que la migration et les déplacements forcés.
Survint le tremblement de terre du 12 janvier 2010 qui a gravement affecté les bâtiments de la Faculté des Sciences Humaines. Malgré les dégâts causés par ce séisme, le projet de formation et de recherche que développe la Faculté reste fondé sur du roc. Les professeurs et étudiants sont intervenus dans des activités psychosociales et d’intervention sociale auprès des populations affectées par le séisme, s’inscrivant ainsi dans une longue tradition de service à la communauté. Il convient de rappeler que de 2004 à 2008, des actions avaient été promues auprès des populations affectées par des ouragans aux Gonaïves, à Jacmel et à Marigot. Des conférences-débats ont servi d’espaces d’analyse et de compréhension des problèmes sociaux actuels, notamment la crise de la démocratie, la décentralisation et la participation citoyenne, la violence urbaine, la migration internationale, les déplacés forcés, l’habitat, ainsi que les enfants et les jeunes en situation difficile. La Faculté compte dans son palmarès trois revues : Contexte, Itinéraires du CREHSO et Les Cahiers du CEPODE. Seuls Les Cahiers du CEPODE existent encore aujourd’hui.
Alors qu’un étage additionnel avait été érigé en 2008-2009, les bâtiments de la Faculté des Sciences Humaines ont été ébranlés, fissurés et désaffectés après le séisme du 12 janvier 2010. Cependant, l’édifice du savoir reste inébranlable. Très rapidement, des constructions transitoires ont facilité la poursuite des cours, des activités de recherche-intervention et le fonctionnement administratif, grâce aux efforts de coopération universitaire en développement et à l’appui des fonds du Trésor public. La recherche, l’enseignement et le service à la population demeurent les activités courantes de la Faculté des Sciences Humaines.
La Faculté survit, se développe et se renforce dans une carapace qui lui sert d’édifice et dans une saga qui fonde un projet facultaire vivace et résilient, malgré l’absence de locaux adéquats à différents moments de sa trajectoire de 1974 à 2025. Cette situation rappelle les expériences de 1974-1986, la période post-séisme de 2010, et plus récemment, depuis l’encerclement du quartier où se trouvent les locaux de la Faculté par des bandes armées en mars 2024. La FASCH s’est logée durant plus de huit ans dans des abris provisoires, remplacés en 2019 par des constructions modernes et renforcées, mais actuellement désaffectées en raison de la violence armée.
À son 51e anniversaire, la Faculté des Sciences Humaines est sans abri, mais elle continue d’abriter la philosophie de ses programmes d’études, de recherche et de service à la communauté. Elle lance le recrutement de la 7e promotion de la Maîtrise en Population et Développement et assure le leadership d’une recherche-intervention et d’une formation sur les relations haïtiano-dominicaines dans une perspective de dialogue binational. Ce projet bénéficie de l’appui du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD-Haïti) en partenariat avec l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), financé par le Fonds pour la Consolidation de la Paix.
Malgré vents et marées, le projet de la Faculté des Sciences Humaines demeure bâti sur du roc.