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Un séminaire d'orientation vise à former les futurs pharmaciens face à un marché dominé par l'illégalité et les médicaments contrefaits
PORT-AU-PRINCE, Haïti — Dans un pays où seulement 128 pharmacies sont officiellement autorisées pour 11 millions d'habitants, les autorités sanitaires haïtiennes tentent une nouvelle approche pour réguler un secteur pharmaceutique largement dominé par l'illégalité : former la prochaine génération de pharmaciens aux réalités réglementaires.
La Direction de la Pharmacie, du Médicament et de la Médecine Traditionnelle (DPM/MT) a organisé début septembre un séminaire d'orientation destiné aux futurs pharmaciens de l'Université d'État d'Haïti (UEH), une initiative qui intervient dans un contexte où le marché pharmaceutique informel représente la très grande majorité des points de vente de médicaments dans le pays.
« Cette initiative a offert aux futurs pharmaciens de l'UEH une immersion totale dans l'écosystème de la réglementation », explique la DPM/MT, soulignant l'urgence de former des professionnels capables de naviguer dans un environnement complexe où la règle semble être l'exception.
Les chiffres révèlent l'ampleur du défi. Face aux 128 pharmacies officiellement recensées, des estimations du secteur évoquent plusieurs centaines, voire milliers de points de vente non agréés, incluant des pharmacies clandestines, des dépôts et la vente ambulante de médicaments. Cette situation fait d'Haïti l'un des pays où le ratio pharmacies légales/population est parmi les plus faibles au monde.
Le cadre légal qui régit le secteur remonte à la Loi de 1955 sur l'exercice de la pharmacie, un texte largement considéré comme inadapté aux réalités contemporaines. Malgré les efforts pour moderniser cette législation, le secteur continue de faire face à « la prolifération de pharmacies non autorisées, la circulation de médicaments contrefaits ou de mauvaise qualité, la vente sur la voie publique, et l'absence d'harmonisation des prix ».
Le séminaire organisé par la DPM/MT, en application du décret de 2005 qui définit son mandat, avait pour objectifs de permettre aux futurs pharmaciens de :
- Comprendre l'articulation et le rôle des différents services de la DPM/MT
- Maîtriser les concepts fondamentaux de la chaîne du médicament, de la fabrication à la dispensation
- S'approprier les enjeux de la qualité et de la vigilance pour la sécurité des patients
Cette approche pédagogique reflète une prise de conscience : « la réussite de sa mission de régulation passe par l'intégration et la formation des futurs acteurs du secteur », selon la direction.
Paradoxalement, la loi haïtienne établit un monopole pharmaceutique strict, stipulant que seules des personnes qualifiées diplômées en pharmacie peuvent exercer, et ce sous contrôle rigoureux. La responsabilité du pharmacien est « explicitement stipulée dans la loi, tant sur le plan civil que pénal, avec des mesures prévues contre l'exercice illégal ».
Mais cette réglementation reste largement lettre morte face à une réalité où la « très grande majorité des pharmacies en Haïti fonctionnent sans autorisation officielle ». Cette situation crée un paradoxe : un cadre légal restrictif coexiste avec une pratique généralisée de l'illégalité.
Pour tenter de remédier à cette situation, une Politique Pharmaceutique Nationale vise à « garantir la disponibilité, l'accessibilité et l'utilisation optimale de médicaments sûrs et efficaces ». Des projets de loi et des plans d'action sont en cours d'examen pour renforcer la législation et améliorer la sécurité du marché pharmaceutique.
Le programme PROMESS (Programme de Médicaments Essentiels), administré par l'Organisation Panaméricaine de la Santé, tente d'assurer l'accès aux médicaments essentiels via un système d'approvisionnement centralisé. Cependant, ces initiatives peinent à faire face à l'ampleur du secteur informel.
Cette situation pose des risques majeurs pour la santé publique haïtienne. La circulation de médicaments contrefaits, l'absence de contrôle qualité, et le manque de traçabilité des produits pharmaceutiques menacent directement la sécurité des patients.
Les normes spécifiques qui encadrent théoriquement « l'ouverture des pharmacies, des grossistes et des laboratoires pharmaceutiques locaux, ainsi que la gestion des produits pharmaceutiques inutilisables » restent difficiles à appliquer dans un contexte où la majorité des acteurs opèrent en dehors du cadre légal.
Face à ces défis, la stratégie de la DPM/MT de miser sur la formation des futurs professionnels représente un pari sur l'avenir. En formant une génération de pharmaciens sensibilisés aux enjeux réglementaires, les autorités espèrent progressivement normaliser un secteur où l'exception est devenue la règle.
Cette initiative intervient dans un contexte plus large de tentatives de modernisation du système de santé haïtien, marqué par des défis structurels profonds aggravés par l'instabilité politique et économique du pays.
Le séminaire de septembre 2025, bien que modeste dans son ampleur, illustre une volonté de changement dans un secteur où les enjeux de santé publique se mêlent aux réalités économiques d'un pays en crise. Reste à voir si cette approche par la formation parviendra à transformer un secteur où l'informel domine depuis des décennies.
« Outiller la relève pour un secteur pharmaceutique haïtien plus robuste » : tel était l'objectif affiché de ce séminaire. Dans un pays où la régulation pharmaceutique reste un défi majeur, cette initiative pourrait constituer un petit pas vers une normalisation nécessaire, mais encore lointaine.