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Le marché haïtiano-dominicain : un commerce à sens unique

Analyse critique des échanges commerciaux asymétriques entre Haïti et la République dominicaine, illustrés par l’exemple du rhum Chevalier.

Photo by Heather Suggitt / Unsplash

Table des matières

Le coup d’envoi réel des relations commerciales contemporaines entre Haïti et la République dominicaine remonte à l’embargo imposé en 1991, selon Flecher José. Le séisme du 12 janvier 2010 marque un autre tournant décisif dans l’intensification des échanges entre les deux pays.

Depuis cette période, la République dominicaine a massivement investi le marché haïtien en y écoulant une grande variété de produits : cosmétiques, bananes, épices, œufs, fruits, vêtements, et bien d’autres encore. Haïti est ainsi devenu, au fil des années, un marché de consommation privilégié pour l’économie dominicaine.

Au cours de la dernière décennie, Haïti a fortement contribué à la vitalité économique de la République dominicaine. Et ce, malgré l’insécurité grandissante dans des zones stratégiques telles que les centres urbains de Port-au-Prince, Carrefour, Gressier, Croix-des-Bouquets ou encore certaines parties de l’Artibonite. Chaque jour, des marchandises dominicaines continuent d’entrer sur le territoire haïtien, transportées au péril de la vie des commerçants. Ces derniers empruntent des axes routiers contrôlés par des groupes armés, comme la coalition de gang “Viv Ansanm” qui perçoit illégalement des droits de passage sur les routes menant à Belladère et Malpasse via la commune de Croix-des-Bouquets.

Récemment, de nouveaux produits dominicains font leur apparition, notamment le rhum de marque Chevalier, un alcool bon marché dont le conditionnement rappelle celui du petit Barbancourt (ti plat). Ce produit est de plus en plus visible sur les marchés locaux, notamment dans les zones frontalières de Malpasse à Anse-à-Pitres. Il est très prisé lors d’événements festifs ou récréatifs. Toutefois, ce rhum n’est soumis à aucune forme de contrôle de qualité par les autorités sanitaires haïtiennes. Il ne fait l’objet d’aucune taxe douanière, ce qui soulève de graves questions en matière de régulation commerciale et de santé publique.

Par contraste, les produits alcoolisés haïtiens, comme ceux de la distillerie Barbancourt, peinent à pénétrer le marché dominicain en raison de barrières douanières et réglementaires. Cette situation reflète une asymétrie manifeste dans les rapports commerciaux entre les deux pays.

En l’absence d’une politique commerciale cohérente et d’un système douanier fonctionnel du côté haïtien, le marché national reste grand ouvert aux produits étrangers, au détriment de la production locale. Si cette dynamique persiste, Chevalier pourrait progressivement supplanter ti plat dans l’imaginaire et les habitudes de consommation haïtiennes.

Raymond Bastien est travailleur social et stagiaire au sein du projet Dialogue binational UEH–PNUD. Il s’intéresse aux dynamiques économiques transfrontalières entre Haïti et la République dominicaine, avec un regard critique sur les inégalités commerciales et les enjeux de régulation.

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