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La mondialisation et la libéralisation du marché politique ont engendré une concurrence intense entre les organisations partisanes, chacune développant des stratégies de recrutement pour mieux promouvoir son offre politique. Dans ce contexte, les partis politiques recourent à des techniques de marketing politique renouvelées, jugées plus efficaces que les canaux de communication classiques, souvent inadaptés, voire improductifs, dans un environnement saturé par la lutte pour l’information, la désinformation et la conquête du pouvoir.
Les médias, en particulier les réseaux sociaux, jouent un rôle transformateur. Ils participent activement à la formation du comportement politique des citoyens, influençant leurs choix, leurs préférences et leur perception de l’offre politique. Les technologies de l’information et de la communication deviennent des instruments stratégiques pour les entrepreneurs politiques dans un Cameroun pluriel, où le marché politique est traversé par une logique de capitalisme politique. Ce dernier reflète une forme de démocratie dite « économique », où les intérêts particuliers s’entrelacent pour façonner les décisions tant des gouvernants que des gouvernés (Poirier, 2023).
Les partis politiques camerounais ne se contentent plus de communiquer par les réseaux sociaux : ils en font un espace de débat, d’interaction et de marchandisation politique. Le degré de pénétration de ces outils numériques dans le marketing politique est désormais évident. Leur influence sur la performance communicationnelle des partis et sur le processus de construction de l’électorat est considérable. Ainsi, le marketing politique numérique – ou e-marketing politique – s’impose comme une réalité incontournable dans les campagnes électorales contemporaines.
Mobiliser par les réseaux
Les réseaux sociaux permettent aux partis politiques d’accélérer considérablement leurs actions de communication. Sans une stratégie de marketing politique adaptée, ces partis n’auraient pas le capital symbolique et relationnel nécessaire à leur ascension sur l’échiquier politique. Le cœur de la démocratie, qualifiée par Achille Mbembe de « dernier nom du vivant » (Mbembe, 2023), repose sur l’expression de la masse. Dans cette optique, la communication devient cruciale, et les réseaux sociaux apparaissent comme les vecteurs les plus rapides et efficaces dans un monde de plus en plus numérique.
Ces outils déjouent les contraintes temporelles et spatiales : les contenus textuels et audiovisuels sont accessibles à toute heure, indépendamment de la localisation géographique, à condition de disposer d’une connexion numérique. Internet devient ainsi une véritable caisse de résonance pour le marketing politique.
Dans un contexte de compétitions électorales intenses, marqué par de fortes attentes socio-politiques, l’électorat camerounais adopte une posture de plus en plus rationnelle face au discours politique. La communication politique s’en trouve accélérée et transformée. Les partis saisissent les opportunités offertes par les réseaux sociaux, valorisant leur capacité d’inclusion et leur rapidité d’exécution. Moins coûteux que les médias traditionnels, ces outils numériques permettent aux leaders politiques de diffuser plus largement leur vision.
Conscients du pouvoir de mobilisation de ces technologies, les responsables politiques investissent les plateformes numériques pour renforcer le lien avec l’électorat. Internet devient alors un vecteur de proximité entre les citoyens et leurs représentants. Dans une vidéo diffusée sur TikTok, Éric Essono Tsimi (2012), candidat à la présidence de la République, justifie son choix d’investir ce réseau social en affirmant qu’il le privilégie en raison de sa cible prioritaire : la jeunesse.
Les réseaux sociaux ne sont plus de simples outils de diffusion ; ils deviennent de véritables espaces de rencontre, d’échange et de transactions politiques.
Élan de couverture inclusive du marché politique à l’ère du numérique
Le marché politique camerounais est d’une ampleur considérable. Le pays, vaste et densément peuplé dans certaines régions, présente une diversité territoriale et démographique marquée. Pour couvrir un tel espace politique, il est nécessaire de mobiliser des ressources humaines, économiques et communicationnelles significatives afin que l’ensemble de la population puisse accéder à l’offre politique.
Cette géographie électorale étendue regroupe des électeurs nombreux, hétérogènes et culturellement inégaux, répartis en diverses catégories sociales, générations parfois conflictuelles, statuts socio-économiques différenciés et appartenances politiques concurrentielles. Dans ce contexte complexe, les réseaux sociaux apparaissent comme une opportunité stratégique majeure pour les partis politiques. Ils permettent de raccourcir les délais de diffusion, d’atteindre des publics éloignés et de promouvoir efficacement les projets politiques sans recourir aux méthodes de terrain traditionnelles.
Lors des élections présidentielles, les réseaux numériques ont ainsi permis aux partis de couvrir l’ensemble du marché politique national. En 2018, ils ont notamment permis d’anticiper les temps de meeting, de rendre durables les messages de campagne et de transcender les frontières classiques : jour/nuit, militant/opposant, citadin/villageois, apte/inapte. Les jeunes, les femmes et les membres de la diaspora, mieux informés, peuvent désormais évaluer l’offre politique selon leurs besoins.
Les personnes en situation de handicap, les opposants, les populations précaires ou les élites économiques ne sont pas non plus en marge de cette dynamique. Les réseaux sociaux fonctionnent comme une puissante machine d’inclusion politique, intégrant des publics auparavant marginalisés dans le processus de communication politique.
Par exemple, la page Facebook officielle du président national du RDPC, Paul Biya, compte 982 000 abonnés. Les décrets publiés relèvent non seulement de ses fonctions institutionnelles, mais s’inscrivent également dans une stratégie de communication politique du parti au pouvoir. Dans un article publié par Africom en 2013, Éric Essono Tsimi soulignait que « la dernière publication du chef de l’État camerounais sur Twitter remontait au 8 octobre 2011 ». Une décennie plus tard, la situation a radicalement changé : en avril 2025, Paul Biya publie 68 contenus — 34 en français et 34 en anglais — et entre le 1er et le 7 mai, il partage 28 tweets bilingues.
La page Facebook de Cabral Libii compte quant à elle 184 000 abonnés, avec 37 tweets publiés en avril et 11 entre le 1er et le 7 mai. De nombreux leaders politiques diffusent également des contenus vidéographiques sur TikTok, souvent plus idéologiques que simplement ludiques.
Parallèlement, plusieurs partis créent des groupes WhatsApp pour échanger avec leurs militants et convaincre de nouveaux sympathisants. Le groupe WhatsApp Stand Up 4 Cameroon Groupe, dont fait partie Mme Edith Kah Walla, compte plus de 221 membres (au 7 mai 2025). Celui du SDF de la région de l’Extrême-Nord rassemble 252 membres et enregistre en moyenne 27 interactions quotidiennes (au 5 mai 2025).
Maurice Kamto, sur sa page Facebook, invite ses abonnés à le suivre également sur TikTok : « Retrouvez-moi également sur TikTok à travers ce lien ». De son côté, le professeur Éric Essono Tsimi a annoncé sa candidature à l’élection présidentielle de 2025 sur sa page Facebook, avant toute déclaration dans les médias traditionnels.
Citoyenniser avec les réseaux sociaux
Les réseaux sociaux sont utilisés par les acteurs politiques comme instruments de marketing politique leur permettant de construire non seulement leur visibilité et leur image publique, mais aussi de promouvoir des actions citoyennes. Ils investissent massivement ces plateformes pour inciter les Camerounais à s’inscrire sur les listes électorales, condition indispensable à l’exercice de la citoyenneté politique. La masse, en tant que capital fondamental de la démocratie, devient une cible stratégique d’autant plus que la majorité des citoyens camerounais sont désormais connectés.
Comme l’indique une citation percutante : « Ceux qui ont brûlé les livres voudront peut-être aussi brûler Internet, car nous en avons fait l’outil idéal de la liberté et de la culture ». En 2023, le Cameroun compte 12,89 millions d’internautes, avec un taux de pénétration de 45,6 %. Par ailleurs, 76 % de la population est constituée de jeunes, une catégorie largement connectée (Kamdem, 2023). Les partis politiques ciblent prioritairement cette jeunesse pour renforcer leur influence, convaincus que le changement politique est d’autant plus possible par et avec elle. Dans cette dynamique inclusive, les campagnes numériques se multiplient.
Par exemple, dans un tweet, Serge Espoir Matomba (183 000 abonnés sur Facebook) interpelle directement les bayam-sellam, kimkoman et autres petits entrepreneurs de l’économie informelle pour les inciter à s’inscrire sur les listes électorales en vue des élections présidentielles de 2025.
Pour de nombreux intellectuels, les réseaux sociaux constituent un enjeu fondamental pour approfondir la démocratie. Ils permettent à toutes les communautés de faire entendre leur voix dans le débat sur la gouvernance. Ils offrent une opportunité inédite que les acteurs politiques se doivent de saisir pour construire un pouvoir plus inclusif.
Ainsi, Facebook représente un levier majeur pour favoriser des élections plus justes, transparentes et légitimes au Cameroun en 2025. Selon Bekolo (2023), un usage éclairé de ces plateformes numériques permettrait aux citoyens de choisir leur président(e) de manière démocratique, tout en garantissant que toutes les voix, même celles des minorités, soient entendues.
Dans le même esprit, le Parti Camerounais pour la Réconciliation Nationale (PCRN) affirme : « Imaginez l’impact que vous pourriez avoir en utilisant votre téléphone pour organiser des campagnes de sensibilisation sur l’importance de s’inscrire sur les listes électorales et de voter ». Cabral Libii, chef de file de ce parti, s’est appuyé sur les réseaux sociaux pour façonner son identité idéologique et politique.
Les réseaux sociaux ne se contentent plus de diffuser de l’information : ils assument aujourd’hui une véritable fonction d’éducation politique. Ils sont devenus essentiels pour façonner les paysages politiques contemporains, notamment auprès des jeunes générations. L’existence de plateformes comme Naja TV (183 000 abonnés sur Facebook) témoigne de leur impact profond sur la mobilisation, la sensibilisation et la circulation de l’information politique.
Enfin, plusieurs initiatives citoyennes lancées sur les réseaux ont favorisé des dynamiques de changement. C’est le cas de l’initiative Je veux ma CNI, pilotée par le PCRN, qui a suscité une mobilisation importante autour des questions d’identification et d’exercice du droit de vote.
Réseaux sociaux : tribune de contre-pouvoir
Les élections présidentielles de 2018 ont révélé la puissance et la pénétration croissante des réseaux sociaux dans l’espace politique camerounais. Ces plateformes ont joué un rôle central dans la diffusion de désinformations, l’annonce de candidatures, la commercialisation des produits politiques, la proclamation informelle des résultats, ainsi que dans l’alimentation des contentieux post-électoraux.
Les réseaux sociaux numériques se sont ainsi affirmés comme de véritables instruments de mobilisation au service de la contestation de l’ordre politique établi. Ils permettent aux acteurs politiques et aux citoyens d’exercer des actions politiques — ou e-actions — qui échappent aux frontières étatiques et s’inscrivent dans des logiques transnationales.
En témoigne, par exemple, la pétition lancée en septembre 2024, à la suite de l’annonce de la visite au Cameroun de l’ancien président français Nicolas Sarkozy. Cette pétition, relayée sur les réseaux sociaux, visait à récolter 10 000 signatures et fut initiée par le président du mouvement We Are the Change, candidat déclaré à l’élection présidentielle de 2025.
D’autres formes de mobilisation numérique ont émergé. De nombreux jeunes se sont opposés à la campagne de soutien à la candidature de Paul Biya dans la région de l’Extrême-Nord, dénonçant ce qu’ils percevaient comme une instrumentalisation de la jeunesse. En 2024, un groupe nommé Non au partisan du RDPC a été créé sur les réseaux sociaux par des jeunes militants hostiles au régime en place.
La connectivité offerte par les médias sociaux ne constitue pas seulement un outil d’interaction quotidienne : elle s’est imposée comme un vecteur efficace de dissidence et d’engagement collectif. L’histoire récente du printemps arabe a déjà démontré la capacité des plateformes numériques à catalyser les mouvements sociaux.
Cette dynamique s’est également illustrée au Gabon, où les autorités ont tenté, lors de mobilisations politiques, de couper l’accès à Internet afin d’entraver la capacité des jeunes à s’organiser et à protester. Ce type d’action témoigne de la menace perçue par les régimes politiques face aux formes décentralisées, horizontales et numériques de communication politique.
Ainsi, les réseaux sociaux ne sont plus de simples relais d’information : ils sont devenus des instruments structurants de l’autonomisation politique des jeunes générations, en leur offrant des moyens d’action directe et rapide dans les processus de changement socio-politique (Tsimi, 2024).
Références
Bekolo, J. P. (2023). Un coup d'État propre au Cameroun en 2025 avec Facebook [Publication Facebook]. https://www.facebook.com/658521604/posts/pfbid0Bx5NJSbLbB59aquXKfqGUJ6q7acqj5fu4g6rLZ4F7hgDURAnak8Xx4agt4pSi815l/?app=fbl
Destouche, G. (1998). Menace sur internet des groupes subversifs et terroristes sur le terroriste. Éditions Michalon.
Kamdem, C. (2023, 14 février). Chiffres des réseaux sociaux au Cameroun (2023). Le Storytelling du Community Management au Cameroun. https://histoiresdecm.com/2023/02/14/chiffres-reseaux-sociaux-cameroun-2023/
Kamto, M. (2023). Retrouvez-moi sur Tik Tok à travers le lien ci-dessous [Publication Facebook]. https://www.facebook.com/658521604/posts/pfbid0Bx5NJSbLbB59aquXKfqGUJ6q7acqj5fu4g6rLZ4F7hgDURAnak8Xx4agt4pSi815l/?app=fbl
Mbembe, A. (2023). La communauté terrestre. Harmattan.
PCRN Education électorale. (2024). [Image] [Publication Facebook]. https://www.facebook.com/groups/370746091326106/permalink/964993928567983/
Philippe, P. (2023). Les questions économiques joueront un rôle déterminant dans le scrutin [Interview]. Virgule. https://www.virgule.lu/luxembourg/philippe-poirier-les-questions-economiques-joueront-un-role-determinant-dans-le-scrutin/3975172.html
Philippe, P. (2024). Comprendre la démocratie libérale [Cours en ligne]. CLOM-Démocratie, citoyenneté et État de droit, Université Senghor.
Tsimi, É. E. (2012). Ce que nous disent les réseaux sociaux sur la société camerounaise. Afrik.com. https://www.afrik.com/ce-que-nous-disent-les-reseaux-sociaux-sur-la-societe-camerounaise
Tsimi, É. E. (2024). Arrivée de Sarkozy : un candidat déclaré à la présidentielle de 2025 lance une pétition. CamerounWeb. https://www.camerounweb.com/CameroonHomePage/NewsArchive/Arriv-e-de-Sarkozy-un-candidat-d-clar-la-pr-sidentielle-de-2025-lance-une-p-tition-769773
Vedel, T. (2007). Les usages politiques de l'internet. La Documentation française. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/internet-monde/web2.0.shtml