Table des matières
Un rapport du BINUH et du HCDH révèle l'intensification dramatique de la violence dans l'Artibonite et le Centre. Les gangs visent le contrôle des routes stratégiques vers la frontière dominicaine, menaçant la stabilité régionale caribéenne.
L'expansion territoriale des gangs au-delà de Port-au-Prince a atteint un niveau critique, révèle un rapport publié en juillet 2025 par le Service des droits de l'homme du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) et le Haut-Commissariat aux droits de l'homme (HCDH). Entre octobre 2024 et juin 2025, au moins 1 018 personnes ont été tuées, 213 blessées et 620 kidnappées dans les départements de l'Artibonite et du Centre, ainsi qu'à Ganthier et Fonds Parisien, à l'est de la zone métropolitaine.
L'analyse onusienne révèle que les gangs poursuivent un objectif stratégique clair : établir leur présence le long des routes clés traversant les départements du Centre et de l'Artibonite. L'enjeu principal est le contrôle des voies reliant la capitale aux régions nord et à la frontière dominicaine, facilitant ainsi le trafic transnational d'armes et de personnes.
"Cette expansion du contrôle territorial des gangs pose un risque majeur de propagation de la violence et d'augmentation du trafic transnational d'armes et de personnes, ce qui pourrait entraîner une déstabilisation significative pour les pays de la sous-région caribéenne", avertit le rapport.
Le 3 octobre 2024, le massacre de Pont-Sondé dans l'Artibonite a marqué un point de bascule. Au moins 100 personnes ont été tuées et 16 autres blessées en quelques heures par le gang Gran Grif. Cette attaque d'une brutalité extrême visait à punir la population pour son soutien aux groupes d'autodéfense locaux.
L'escalade s'est poursuivie avec l'attaque de Cité de la Crête à Pierrot le 30 avril 2025, faisant 57 morts, 36 kidnappés et forçant plus de 13 000 personnes à fuir. Les assaillants ont incendié plus de 80 maisons, forçant les résidents à traverser la rivière Artibonite à la nage pour échapper aux flammes.
Le rapport documente une augmentation alarmante de 490% des violences contre les enfants entre 2023 et 2024. Plus de 21 femmes et filles ont été violées durant cette période, bien que ces chiffres soient largement sous-estimés en raison de la peur des représailles et de la stigmatisation sociale.
Les déplacements forcés ont atteint des niveaux records : 92 300 personnes déplacées dans l'Artibonite (augmentation de 9% depuis décembre 2024) et 147 000 dans le Centre (augmentation de 118%). Ces populations vivent dans des conditions qualifiées d'"inhumaines" par les organisations humanitaires.
Face à l'expansion des gangs, les autorités ont déployé des unités spécialisées de la police nationale, appuyées par la Mission multinationale d'appui à la sécurité (MSS). Cependant, le rapport révèle que ces efforts ont été accompagnés de violations des droits humains.
L'Unité départementale de maintien de l'ordre (UDMO) et l'Unité temporaire anti-gang (UTAG) ont été impliquées dans l'exécution sommaire d'au moins 17 personnes suspectées d'appartenir ou de soutenir le gang Gran Grif. Les groupes d'autodéfense ont également commis des atrocités, tuant au moins 67 personnes entre le 9 et le 12 décembre 2024.
Les gangs ont intensifié leurs attaques dans le département du Centre depuis mars 2025. L'assaut coordonné sur Mirebalais le 31 mars a permis l'évasion de 515 détenus et le meurtre de deux religieuses. Les gangs 400 Mawozo et Canaan ont établi des structures de gouvernance parallèles, prenant en charge des services publics rudimentaires tout en terrorisant la population.
La prise de contrôle de Ganthier par le gang 400 Mawozo en juillet 2024 illustre la stratégie d'expansion vers la frontière. Le contrôle de cette zone permet aux gangs de générer des revenus substantiels par l'extorsion et facilite le trafic d'armes en provenance de la République dominicaine.
Face à cette catastrophe humanitaire, le rapport formule des recommandations urgentes. Pour les autorités nationales : fournir aux unités de police spécialisées les ressources nécessaires, traiter avec diligence toutes les allégations de violations des droits humains, et établir les deux unités judiciaires spécialisées créées par décret en avril 2025.
Pour la communauté internationale : maintenir le mandat et la capacité opérationnelle du BINUH, poursuivre le déploiement de la MSS conformément aux résolutions du Conseil de sécurité, prendre des mesures urgentes pour empêcher l'approvisionnement en armes, et mettre à jour la liste des individus soumis au régime de sanctions.
"Pour prévenir une déstabilisation rapide de la sous-région, la communauté internationale doit renforcer son soutien aux autorités haïtiennes", conclut le rapport. L'expansion territoriale des gangs au-delà de Port-au-Prince représente désormais une menace non seulement pour Haïti, mais pour l'ensemble de la région caribéenne.