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Quand le ministre de l’Éducation nationale fait face à la réalité de l’école inclusive en Haïti

La visite du ministre en fauteuil roulant révèle l’exclusion persistante dans les écoles haïtiennes et l’urgence d’une réelle inclusion scolaire.

Photo by Tim Mossholder / Unsplash

Table des matières

Le lundi 30 juin 2025, à l’occasion de la première journée des examens officiels de la 9e année fondamentale, le ministre de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle, M. Antoine Augustin, s’est rendu au lycée Horacius Laventure, à Delmas 75 (Port-au-Prince), l’un des plus grands centres d’examens du pays.

Arrivé en fauteuil roulant, le ministre n’a pas pu accéder seul aux bâtiments. Il a fallu l’intervention de plusieurs membres de sa délégation, qui ont peiné à soulever son fauteuil pour lui permettre d’entrer. Face à l’absence d’infrastructures adaptées, les membres de l’équipe ont tenté en vain d’improviser une rampe avec deux planches pour faciliter son passage.

Cette scène, filmée et largement relayée sur les réseaux sociaux, soulève une question fondamentale : peut-on parler d’école inclusive en Haïti lorsque même le ministre de l’Éducation est confronté aux barrières physiques d’un lycée public ?

Pourtant, les documents officiels du MENFP affirment promouvoir une école ouverte à tous, quelles que soient la condition physique, sociale ou économique des apprenants. Mais en Haïti, l’écart entre les intentions et la réalité demeure criant.

L’épisode du lycée Horacius Laventure illustre à quel point le bâti scolaire reste l’un des maillons les plus faibles de l’inclusion. Même après les reconstructions post-séisme de 2010, rares sont les établissements qui respectent les normes d’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite. Escaliers sans rampes, absence d’ascenseurs, portes étroites, salles de classe en hauteur… Autant d’obstacles qui rendent l’école difficilement accessible, voire impossible, pour des milliers d’élèves vivant avec un handicap.

Si la plus haute autorité du système éducatif, en fauteuil roulant, a dû être portée pour pénétrer dans un centre d’examens, que dire d’un élève handicapé, sans accompagnateur, qui souhaiterait y étudier chaque jour ?

Ce fait n’est pas anodin. Il révèle l’ampleur du retard structurel de notre système éducatif en matière d’inclusion et interroge la volonté politique réelle de transformer les textes en pratiques. Comme le souligne Fougeyrollas (2010) :

« L’inclusion scolaire ne va pas de soi. Elle est un processus qui ne peut réussir qu’à travers une transformation structurelle et culturelle des institutions éducatives. »

Malgré les ambitions affichées, l’école haïtienne continue d’exclure, de façon passive mais constante, une partie de ses citoyens. Ce lundi 30 juin, la réalité a frappé : ce n’est pas seulement l’élève à besoins particuliers qui peine à accéder à l’école en Haïti, c’est aussi le ministre, figure la plus visible du système.

Il est urgent de questionner la place de l’Autre dans l’école haïtienne : cet Autre différent par son corps, son esprit, son rythme, sa singularité. Comme je l’ai écrit dans mon mémoire (Alexandre, 2024, non publié) :

« L’école, et plus encore l’école haïtienne, doit créer les conditions physiques, matérielles et idéologiques pour transformer les espaces scolaires afin qu’ils n’excluent personne, quelle que soit sa situation, tout en interrogeant la place de l’Autre, différent dans sa réalité mentale et dans son corps. »

Et si, comme le rappelle Charles Gardou (2013),

« l’inclusion scolaire vise à créer un chez-soi pour tous »,

alors il est clair qu’en ce jour, même le ministre n’était pas chez lui dans le sous-système qu’il dirige.

Références

Alexandre, S. (2024). Travail de mémoire sur l’inclusion scolaire en Haïti. Mémoire non publié.

Fougeyrollas, P. (2010). Les plans d’action pour l’inclusion scolaire : un cadre de transformation systémique. Montréal : RQRPH.

Gardou, C. (2013). La société inclusive, parlons-en ! Il n’y a pas de vie minuscule. Paris : Érès.

À propos de l'auteur

Samuel Alexandre, licencié en Éducation et engagé dans des études en sociologie, s’intéresse aux enjeux d’inclusion scolaire en Haïti.

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