Table des matières
Dans un discours de 1 500 mots, le président du CNHRR évoque le "crime économique" de 1825 et appelle à une "entreprise de réhabilitation morale"
PORT-AU-PRINCE, Haïti — Le professeur Dieuseul Prédélus, recteur de l'Université d'État d'Haïti, a prononcé lundi un discours de prise de fonction comme président du Comité national haïtien de restitution et de réparation (CNHRR), qualifiant la rançon française de 1825 de "crime économique" et appelant à une mobilisation nationale transcendant les générations.
Dans une allocution de près de 1 500 mots prononcée lors de la cérémonie d'installation, Prédélus a situé l'année 2025 comme "le bicentenaire d'un des crimes économiques les plus durs de l'histoire du pays", rejetant les "appellations pudiques d'indemnité ou de dette de l'indépendance" pour qualifier la rançon de "chantage colonial" et de "double peine infligée à un peuple dont le seul tort aurait été d'avoir osé briser les chaînes de l'esclavage".
Le nouveau président du CNHRR a fourni une analyse économique détaillée de l'impact historique : "La rançon, estimée à 150 millions de francs-or de l'époque, a saigné l'économie nationale pendant plus d'un siècle. Elle a hypothéqué le développement de nos infrastructures, paralysé la croissance de notre système éducatif et freiné l'industrialisation du pays."
Prédélus a établi une généalogie politique de cette revendication, rendant hommage au président Jean-Bertrand Aristide qui "a d'abord porté cette question à l'agenda public de l'État haïtien en 2003" et au professeur Fritz Deshommes qui "a eu le mérite de mettre sur pied le groupe de travail qui a inspiré la création de ce Comité national".
Le recteur a défini la mission du CNHRR comme "à la fois un espace scientifique, civique et diplomatique" devant "rassembler les preuves, alimenter le plaidoyer, sensibiliser la nation et établir les passerelles nécessaires avec nos partenaires internationaux". Il a souligné que la mission consiste à "rendre visible l'invisible, articuler les arguments juridiques, économiques, moraux et faire entendre la voix d'Haïti dans les forums où l'écriture de la mémoire du monde est en jeu".
Prédélus a pris soin de dissiper les accusations d'esprit revanchard : "La démarche qui nous guide n'est donc point animée d'un esprit revanchard. Elle n'entend pas tenir lieu de vivier à une culture du ressentiment pas plus qu'elle ne cherche à rouvrir inconsidérément des plaies." Il a positionné cette initiative dans "une dynamique mondiale où les peuples, de l'Afrique aux Caraïbes, se dressent pour réclamer justice face aux crimes de l'esclavage et de la colonisation".
Le discours a salué les avancées françaises récentes, notamment la "déclaration historique" du président Emmanuel Macron co-instituant "avec le Conseil présidentiel de transition, le 17 avril 2025, une commission mixte d'historiens français et haïtiens", ainsi que la résolution de l'Assemblée nationale française du 5 juin 2025 qui "a invité son gouvernement à examiner les voies de restitution de la double dette".
Cependant, Prédélus a insisté que "ce combat demeure le nôtre", lançant "un appel solennel" aux universités, à la jeunesse haïtienne, aux institutions publiques et privées, aux communautés de la diaspora et à tous les secteurs de la vie nationale.
Le ton académique et la sophistication rhétorique du discours contrastent avec l'urgence de la crise sécuritaire actuelle. L'accent mis sur la "réhabilitation morale" et la "reconquête de notre dignité" s'inscrit dans une démarche de soft power diplomatique à long terme.
L'approche de Prédélus révèle une stratégie en plusieurs niveaux : scientifique (documentation rigoureuse), juridique (arguments de droit international), diplomatique (mobilisation internationale) et civique (sensibilisation nationale). Cette méthode pourrait s'avérer plus efficace que les approches purement politiques précédentes.
Le discours positionne explicitement Haïti dans un mouvement global de justice réparatrice, mentionnant "une dynamique mondiale" impliquant l'Afrique et les Caraïbes. Cette contextualisation s'aligne avec la participation récente d'Edgard Leblanc Fils au sommet CARICOM-Union africaine.
L'évocation de "l'édification d'un avenir plus juste" et du "rétablissement de la vérité" emprunte au vocabulaire de la justice transitionnelle, suggérant une approche qui dépasse la simple revendication financière pour englober la reconnaissance historique et la réconciliation.
Cette prise de fonction illustre la capacité du système éducatif haïtien à produire un leadership intellectuel capable d'articuler des revendications complexes dans un langage internationalement crédible, même dans un contexte de crise institutionnelle.