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Une initiative ambitieuse pour connecter les étudiants malgré l'insécurité et l'occupation des campus universitaires
PORT-AU-PRINCE, Haïti — L'Université d'État d'Haïti (UEH) a lancé lundi le programme "UEH Net Étudiants", offrant un accès internet gratuit aux étudiants dans un contexte où l'insécurité généralisée et l'occupation des locaux universitaires par des groupes armés perturbent gravement l'enseignement supérieur.
La cérémonie, tenue à la salle de conférence du rectorat, a réuni le recteur Dieuseul Prédélus, le vice-recteur Predner Duvivier, le secrétaire général Louis Rodrigue Thomas, ainsi que des membres du Conseil de l'université et plusieurs dizaines d'étudiants de la région métropolitaine.
Cette initiative s'inscrit dans un contexte particulièrement difficile pour l'enseignement supérieur haïtien. Avec environ 90% de Port-au-Prince sous contrôle des gangs selon l'ONU, de nombreux campus ont été contraints de fermer ou de fonctionner de manière intermittente, forçant l'adoption de l'enseignement en ligne comme solution de continuité pédagogique.
Le programme prévoit la distribution de cartes SIM avec forfait mensuel de 30 gigaoctets aux étudiants, financées par l'université. Environ cinquante étudiants, soit cinq par entité de la zone métropolitaine, ont reçu les premières cartes des deux principales compagnies de téléphonie mobile du pays.
Le recteur Prédélus a souligné que cette initiative dépasse "la simple distribution de cartes SIM" et constitue "un soutien concret à votre formation, une manière de vous rapprocher du savoir, de vos enseignants et de tout ce que le monde académique peut offrir aujourd'hui".
Cependant, cette initiative soulève des questions sur sa viabilité financière et opérationnelle. Dans un contexte où l'État haïtien peine à financer ses institutions de base, le coût récurrent de ce programme pour une université publique aux ressources limitées interroge sur sa pérennité.
Le directeur de la Vie étudiante, Danove Jose Karly Dieufort, a détaillé les deux phases du projet : la distribution de cartes SIM avec forfait internet mensuel et l'installation de points d'accès Wi-Fi dans toutes les entités de l'UEH. Cette seconde phase nécessitera des investissements importants en infrastructure dans un environnement où la sécurité des installations techniques reste problématique.
L'étudiante bénéficiaire Winalda Terly Dorcenat a salué cette "réponse forte" dans un contexte où "la majorité des entités de l'Ouest ont été fortement touchées par l'insécurité, où de nombreux cours ont dû se tenir en ligne". Cette déclaration confirme l'ampleur de la perturbation du système éducatif.
Le recteur a également annoncé d'autres mesures à venir : programme d'assurance maladie étudiante, service de reprographie, services d'insertion professionnelle, renforcement des activités culturelles et sportives avec la création de l'UEH FC. Ces annonces ambitieuses contrastent avec les contraintes budgétaires et sécuritaires actuelles.
L'initiative illustre les défis de l'enseignement supérieur haïtien face à la crise. D'un côté, elle témoigne d'une volonté institutionnelle d'innovation et d'adaptation. De l'autre, elle révèle l'ampleur des difficultés quand l'accès à internet devient un enjeu de continuité éducative dans un pays où les infrastructures de base sont défaillantes.
Cette digitalisation forcée de l'éducation soulève également des questions d'équité. Tous les étudiants n'ont pas nécessairement accès aux équipements numériques nécessaires pour tirer pleinement parti de cette connectivité, risquant d'approfondir les inégalités éducatives existantes.
L'accent mis par Prédélus sur l'usage "responsable" de ces forfaits internet suggère une préoccupation légitime concernant l'utilisation effective de ces ressources à des fins académiques plutôt que récréatives.
Cette initiative, bien qu'louable dans ses objectifs, s'inscrit dans une réalité où l'UEH, comme l'ensemble du système éducatif haïtien, tente de maintenir ses missions fondamentales dans des conditions exceptionnellement difficiles. Son succès dépendra largement de l'évolution de la situation sécuritaire et de la capacité de l'institution à pérenniser le financement de ce programme ambitieux.